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EDITO

Dormir de l’aube jusqu’à midi, nouveau régime santé

S’immerger dans un club de strip-tease, ce n’est pas si facile. Pour le rythme de vie. Pour la peur de l’inconnu, la peur d’être gênée. Mais c’est une bonne chose surtout. Pour sortir de son carcan, pour casser ses idéologies, voire casser les codes. Danseuses et barmans ont l’habitude de ce genre de nuits. Moi j’avais encore tout à apprendre. Voici une nuit selon moi, journaliste en immersion. 

      Je passais la plupart de mon temps assise au fond de la salle à observer, un verre d’eau ou de coca à la main -pour tenir jusqu’à la fin de la nuit. 

           Les premiers jours, j’observai en attendant Irina, la directrice artistique et ma tutrice dans le club. Mais fort heureusement pour moi, je ne suis pas timide. Et les danseuses, le barman et les videurs étaient curieux de voir une jeune femme seule rentrer dans le club, demandant à « attendre Irina pour un rendez-vous ». On me prit parfois pour une nouvelle danseuse, mais j’expliquai mon projet très rapidement, et il en emballa plus d’un. 

Ma vision depuis le fond de la salle, lorsque je ne courrais pas de partout / ©Clémence Bouquerod

           Durant ma première nuit, j’étais assez gênée de regarder les spectacles. Mais très vite, je vis que ce n’était pas du tout « glauque », comme la conscience commune l’avait plus ou moins intégré dans mon esprit. Car finalement, ce n’était pas que sexy. C’était de la danse, c’était artistique. 

           Les prochaines nuits, je bougeais dans le club. J’observai les clients, les barmans, les videurs faire leurs allers-retours, les danseuses durant leurs danses (que ce soit autour de la barre ou pour faire du charme aux clients), les directeurs, ou encore derrière le bar, les loges, le coin fumeur, autour des salles privées, etc. J’avais tant à découvrir, et un engrenage complet à saisir. Je notais tout ce que je voyais, tout ce que j’entendais. 

BILAN 

           Beaucoup de choses étaient positives, finalement. Surtout au niveau de mes rencontres.

         J’appris que toutes les strip-teaseuses faisaient ce métier par choix réfléchi (l’une de mes inquiétudes), et que cela les rendait plus fermes avec les hommes. Certaines strip-teaseuses adoraient même leur métier. Certaines étaient de réelles businesswomen, avec des stratégies très précises et décrites. Quant au Bus Paradise, après y être restée une semaine, et contrairement à ce que l’on m’a raconté sur d’autres clubs ou autres « bars à champagne », cela me sembla très correct, voire même plutôt carré. 

 

        Il resta cependant plusieurs choses qui, sans pour autant me choquer, m’ont surprise. Et cela a remis mon féminisme en question…et ma vision des limites de l’exhibition. 

        D’abord, les clients. Si beaucoup étaient juste là pour rire, passer un bon moment et profiter du spectacle, certains m’ont davantage dérangée. Surtout ceux dont le regard n’était pas là « pour rire ». Ceux-ci regardaient les danseuses en lingerie comme de la viande. Et ce regard ne trompe pas. J’ai aussi entendu quelques « on va où après? » à l’intention des danseuses, qui ont ensuite essayé d’expliquer qu’ici, « ça ne fonctionne pas comme ça », avec un rire gêné. Peu étonnant. Mais toujours très dérangeant. Cela me confortait dans l’idée que pour être strip-teaseuse aujourd’hui, avec tous les stéréotypes et amalgames, il fallait être très forte, et savoir dire non. Selon beaucoup de danseuses, « il faut avoir un fort caractère pour faire ce métier ». 

        Durant cette semaine, j’ai pu également parler à toutes les danseuses. J’appris avec tristesse par plusieurs d’entre elles (que je garderai anonyme pour des raisons évidentes) qu’à certains endroits pas si loin de nous, la limite entre le strip-tease et la prostitution est très fine. Et si ces danseuses n’étaient pas contre la prostitution en soit, cela renforçait les amalgames. Les amalgames qui renforcent la peur ambiante de tous les proches des strip-teaseuses, les amalgames qui disent que ce sont des prostituées, des filles faciles, qu’elles se droguent, qu’elles boivent. Bref, les amalgames qui font porter aux strip-teaseuses toutes sortes de maux. Et ce n’est pas bon. Quant à moi, je restai choquée de cette information. Je mis du temps à la réaliser. J’espérais secrètement que cela n’existait pas vraiment, même si à vrai dire je m’en doutais. Ce n’est pas que je suis contre la prostitution, car j’estime que lorsque c’est un choix, que ce soit de la prostitution, faire du strip-tease, de la pornographie ou des photos de nus, chaque femme fait ce qu’elle veut de son corps. Cela m’a surtout fait peur. Peur, car des limites non claires peuvent mener à des abus, à des clients parfois violents, ou tout simplement maladroits. Et les personnes influençables peuvent souvent tomber dans le panneau. Je pensais à toutes ces filles, qui n’avait pas de « fort caractère », justement, et qui ne choisiront pas forcément. 

 

           C’était une expérience très intéressante. J’ai tant appris en si peu de temps… Chaque nuit était différente. J’ai pu me confronter à mes propres opinions et souvent les confirmer. Eh oui, une femme peut choisir de faire ce qu’elle veut de son corps et de son métier, oui elle peut danser nue si elle le souhaite. Tant qu’elle l’a choisi. Et c’est le cas de toutes ces femmes que j’ai rencontrées. Qui sont toutes normales. Et qui ont toutes des bonnes raisons (valables, quoiqu’on en dise) de faire ce métier : argent, voyages, côté artistique, reconnaissance, … Et ce qui est certain, c’est que mon rythme de sommeil ne s’est toujours pas remis de cette semaine d’immersion. 

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